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L’Artiste, 3 juin 1877

GAZETTE LITTÉRAIRE

Marcelle

Un volume de vers a paru, un volume qui ne procède ni d’Hugo, ne de Leconte de Lisle, ni de Coppée.

Ce poème est parisien, il a nom Marcelle et pour auteur M. Maurice Du Seigneur.

Au point de vue naturaliste, j’aurais bien des objections à faire, mais, en présence de la tentative osée par le poète, j’efface net mes théories et j’applaudis des deux mains.

Essayer, en effet, d’ouvrer un poëme qui ne soit pas exclusivement un cliquetis de mots, ne pas s’attarder dans les sentiers gémissants mis à la mode par ce poète des couturières affamées d’idéal, Coppée, tortiller des sixains sans leur faire exhaler cet incommensurable ennui qui est la marque de fabrique de l’usine à poésies du passage Choiseul, ne pas enfin écraser les pieds avec ces meubles grecs rabotés et taillés au faubourg St-Antoine par les Leconte de Lisle et autres, c’est là un fair insolite et c’est l’une des plus joyeuses suprises qui nous ait faite depuis longtemps.

Marcelle se divise en trois parties et se déroule en strophes de six vers agencées commes celles de Namouna. Le premier chant nous fait assister à la rencontre, sur un pont, de l’héroïne et du poète et il se termine sur ce cri de la pudeur abandonnée : maman ! alors que dans les bois de Meudon, la fillette se laisse délacer sa bottine par le jeune homme. Le second nous décrit le sentimental ramage des deux amoureux et prend fin par la fuite de la Rosalinde dans un équipage de maître ; le dernier nous transporte aix courses, nous met en présence de Marcelle devenue fille et retrouvant, le champagne au poigne, une larme quand son amant délaissé lui fait remettre un bouquet de fleurs par un bossu. Ce boulendos lui rappelle, paraît-il, un autre bobosse qui l’aima jadis alors qu’elle était sage.

Toutes ces pages fourmillent de vers pimpants et lestement troussés. L’esprit pétille, un esprit compliqué et curieux qui n’est pas sans analogie avec celui de XVIIIe siècle. Les vers se déhanchent et rient avec des jolies mines fûtées, ils ont parfois même l’allure polisonne des estampes du temps, des gouaches libertines du peintrer Baudouin.

J’y note aussi cette strophe charmante :


La femme sait toujours mettre en relief ses charmes,

Elle est même en pleurant coquette par instinct

Car de sa joue en fleur le rose et doux satin

Pudiquement ému se lustre sous les larmes.

C’est dans cette rosée en savant libertin

Que l’amour a trempé l’acier fin de ses armes.


Ne dirait-on pas d’un joli Dunkerque amoureusement ciselé par un maître en élégances ? Et cette babiole exquise n’est point la seule qui soit dans le livre, preque toute cette volée de vers, sautille en babille avec cette désinvolture, s’arrêtant à courir la prétentaine, à propos d’une mouche, rejoignant la grande route par des sentiers de traverse, brodés de floraisons rares.

L’avant-dernière strophe du deuxième chant m’a semble curieuse à un autre titre :


Marcelle m’a quitté, terre : ciel, océan !

Déchainez vos fureurs livides sur ma tête ;

Prends-moi dans ton linceul, infernale tempête !


Je trouve cela parfait, mais j’eus peut-être préféré une formule de gémissement moins romantique et, par conséquent, plus vraisemblable ; j’aurais bien aussi une minuscule observation à faire sur le songe qui ouvre le troisième acte. M. Du Seigneur se rit des sceptiques impuissants à croire que les bizarreries du someil vaillent la peine d’être notées. En cela, il a raison, absolument raison ; le fait qu’il signale peut, en effet, arriver, oui, mais comme peut souvent aussi se produire sur une voie de chemin de fer, un déraillement causé par l’erreur de l’individu, chargé de faire manoeuvrer l’aigulle.

Ce troisième chant contient d’ailleurs des strophes excellement trempées. — L’auteur s’y révèle comme un vaillant coloriste et son vers se déroule souvent avec un ampleur qui a fait ma joie. — Entre tous, un coucher de soleil, intercalé dans le songe dont j’ai parlé plus haut, m’a mis en fête. Faute de place, je me bornerai à citer ces trois beaux vers :


Vermeil devient le lac, de pourpre le guéret

Et du ciel pavoisé de rouges banderolles,

Triomphateur mourant, le soleil disparaît.


Je ne puis mieux terminer que sur cette citation ces lignes forcément trop écourtées. M. Du Seigneur, je l’ai dit déjà, a tenté de se soustraire à l’influence léthargique des Parnassiens, il a bien fait ! Sa mignonne fille se fair remarquer, par son visage, par ses allures, par son costume, dans cette cohue d’héroïnes, tournées sur le mîme modèle et vêtues de robes taillés sur le m&ecic;me patron, qui garnissent l’éventaire des ferblantiers poétiques de la capitale. — C’est, à mon avis, le meilleur éloge que j’en puisse faire.

J.-K. Huysmans