Le Journal

Lucien Descaves

8 mai 1922.



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LE MAGAZINE LITTÉRAIRE

ROMANS DE FEMMES

Dans son roman : les Don Juanes, Marcel Prévost trace, et fort bien, le portrait d'un Berthe Lorande, qui a tout simplement du genie. Voici en quels termes Marcel Prévost nous la depeint :

« Elle écrivait un roman et, naturellement, ce roman racontait un épisode de sa vie, avec une sincerité quasi gênante, interrompu, de temps en temps, par de l'invention violemment invraisemblable : c'est l'habituelle manière féminine. »

L'observation s'applique, en effet, à la plupart des livres de femmes-auteurs, et, entre autres, à celui de Mme Myriam Harry : le Tendre cantique de Siona.

Je suis assez embarrassé pour parler de cette autobiographie à peine déguisée. Mme Myriam Harry a éprouvé le besoin, nullement impérieux, de mêler à son récit le souvenir d'un mort dont la mémoire m'est chère, et elle a fait cela avec une inconscience, un manque de tact et de respect qui me confondent ! Ah ça ! les femmes de lettres ne pourront donc jamais se dispenser de nous raconter, quand elles sont jeunes, leurs aventures d'ordre sentimental et, quand elles vieillissent, leur enfance candide !

Mme Myriam Harry a-t-elle réellement cru nous donner le change en supposant un flirt avec le grand écrivain catholique L.-P. Mirmans, auteur de la Basilique, lequel, venant de Bigugé, demeurait à Paris, rue de Ninive, et avait dans son cabinet de travail son portrait peint par Borain !

Bigugé et Borain, pour Ligugé et Forain, voilà à quels enfantillages d'auteur enrhumé du cerveau s'abaisse aujourd'hui le talent de la femme qui écrivit la Conquête de Jérusalem ! Quelle tristesse — et quelle trahison !

J'eusse compris, à la rigueur, et puisque le livre est dédié à son mari, que Mme Myriam Harry nous rendit intéressant le jeune sculpteur animalier rencontré un jour au Jardin des Plantes devant la cage aux lions... et tout ce qui s'ensuit. Mais je me demande un peu ce que vient faire au travers de cette histoire de haute figure du maître qui n'eut que le tort d'ouvrir sa porte à une amazone en quête de sensations rare ! Pauvre ami ! Il ne savait pas à quoi il s'exposait. Mais voilà : tout, plutôt que de perdre une note prise et de ne pas utiliser une belle relation.

Je me suis fâche, j'ai tort. Je ne devrais considerer que le service rendu à J.-K. Huysmans par la soeur tourière de la rue Monsieur, le jour où elle éloigna d'un mot la visiteuse importune. C'est ce jour-là que mon vieux maître l'a échappé belle !...


LUCIEN DESCAVES