Le Muséee des Deux Mondes, 1 et 15 mars 1876.

Croquis et Eaux-fortes.

’Maître Karel Brand.’

Et, ce disant, maître Karel Brand salua le jeune homme qui le regardait, effaré et comme étourdi, lui tourna le dos et rentra dans la salle à manger.

Deux couverts étaient dressés. Au milieu de la table une thérière de terre brune arrondissait ses flancs rebondis sur un petit réchaud flanqué, d’un côté, d’une jatte de lait et d’un sucrier; de l’autre, de corbeilles remplies de pains de différentes espèces, pain noir à la croûte craquelée et luisante, pain blanc, à la mie molle et fade, pain jaune et sec, picqué de raisins de Corinthe. Plus loin s’empilaient des tranches de boeuf fumé, découpées en dentelles roses, s’arrondissaient des assiettes de fromage râpé en poudre verte, des coupes pleines de grains d’anis se carraient, des pavés de pain d’épice, bardé de cédrats et d’écorces d’orange.

Maître Karel semplait d’assez méchante humeur. Il demande à la vielle Catherine si sa fille allait enfin descendre et, en l’atttendant, se mit à tapoter sur les vitres une marches guerrière qu’il fredonnait depuis son lever. La vue de la place et de quelques passants qui pataugeainet dans la neige ne le satisfait que médiocrerment, car il s’éloigna brusquement de la fenêtre et se jeta dans un fauteuil.

Ses croisées prenaient jour cependant sur la place la plus animée de Haarlem. La maison qu’il habitait, située presqu’en face de celle qui appartenait à la corporation des bouchers et qui porte encore comme signe distinctif des têtes de boeufs sculptées dans la pierre, étageait, à droit de l’église et de la statue de Laurent Coster, et à gauche de l’hôtel-de-ville, sur e fronton duquel se détache en lettres noirtes la devise de Haarlem: Vicit vim virtus, sa façade de briques roses, ouvragée de ferrures, festonée d’astragales et de guuipures de pierre, agrémentée de lucarnes à volutes et de pignons découpés en marches d’escalier.

Maître Karel Brand, ancien syndic de la confrérie des drapiers, membre de plusieurs sociétés savantes, vice-président d’une association contre les progrès de l’ivresse, passait, dans la ville de Haarlem, pour un homme violent et têtu, mais probe et de juste renom.

Au physique, c’était un vieillard allègre et vert; le visage amaigri et comme exsangue, encadré de lng cheveux blancs, s’éclairait de deux yeux gris, persillés de points bruns, séparés par un nez magistrale qui recourbait son arcature osseuse sur une moustache ébouriffée et une bouche mignonne épanouie, dans ce fouillis de poils rebelles, comme ne pâle églantine dans un fourré de broussailles.

Or, au moment où commence cette histoire, cet honorable personnage trépignait et maugréait contre les femmes qui ne sont jamais prêtes pour l’heure du déjeuner. Sa patience ne fut pourtant pas mise à longue épreuve, car la porte s’ouvrit et donna passage à sa fille Barbara, qui lui fit un gracieux salut, l’embrassa, se mit en devoir de préparer le thé et d’étendre du beurre sur les tartines.

Boucles flexueuses, annelant leurs frissons d’or sur des joues pétries de neige et de carmin, bouche cinabrine, yeux taillés en amandes, étincelant comme des étoiles de saphir, écartelant d’azur sur champ d’argent, sourire mignardelet, taille svelte, telle était la fille que l’excellent Karel et la digne Oda Mander, so défunte femme, avaient mise au monde pour faire les délices et l’admiration de la ville de Haarlem en générale, et celle du peintre Juliaen en particulier.

Je ne vous dirai point si ce jeune homme était beau ou laid; sachez seulement qu’il avait su plaire à Barbara, qu’elle l’adorait et qu’il le lui rendait bien. Malheureusement, pour une raison plus ou moins fondée, et qu’il avait apprise le matin même, le pauvre garçon s’était vu refuser sa main, et congédié, sans le moindre égard, par maître Brand.

Ignorant la scène qui venait d’avoir lieu, la jeune fille eetait toute joyeuse, riait, parlait, revêtait les tartines d’une rouelle de boeuf fumé et les présentait à son père qui était grave et taciturne plus que de coutume. Ce silence, cette figure rébarbative ne laissèrent pas que d’inquiéter sa fille. Elle interrompit son travail, regarda son père fixement et lui demanda la cause de sa mauvaise humeur.

On eût dit que le vieillard n’attendait que cette occasion pour décharger sa bile. Il éclata.

— Les efforts que la Société de Tempérance et moi nous faisons pour déraciner cet abominable fléau qui désole la ville sont vains, s’écria-t-il. Tous nos soins sont superflus, l’ivrognerie se propage. C’est à désespérer de tout, je serai impitoyable.

Cette sortie, à laquelle Barbara ne s’attendait point, l’étourdit et elle ne souffla mot.

— Je l’ait dit et je le répète, je serai impitoyable. Quiconque sera vu par moi en état d’ivresse sera mis à l’index de toute la ville, à commencer par le peintre Juliaen.

— Quoi! s’écria-t-elle, Juliaen serait un ivrogne? Mais non, mon père, vous vous trompez, Juliaen est un honnête et brave garçon!

— Juliaen, glapit le vieillard, Juliaen est un abominable gredin, un drôle!

— Oh! ce n’est pas!

— Ce n’est pas, c’est un ivrogne fieffé, un biberon incorrigible!

— Oh! par exemple!

— Je sais ce que je dis, hurla Karel, en donnant un si furieux coup de poign sur la table que son thé moutonna comme une mer houleuse, et lui sauta au visage; ce garçon-là s’est ivrogné, il y a quelques jours, de la manière la plus vile, je l’a vu, vu de mes propres yeux, il chancelait, il titubait, il vacillait!

— Mais papa...

— En voilà assez, voulez-vous dire que je radote, que je divague...

— Oh non!

Eh bien! alors, taisez-vous et mangeons;avec toutes ces sottes discussions, le thé est froid.

Le jour même, Juliaen écrivit au père de sa fiancée une longue lettre dans laquelle il avouait son crime, et ajoutait que, le jour où il avait été rencontré en état d’ivresse, sur la grande place du Marché, il avait dû payer sa bienvenue dans l’atelier de son nouveau maître, mais que jamais plus pareille chose ne lui arriverait.

Le vieillard fut inflexible; jamais ma fille n’épousera un homme qui s’est ivrogné, repondit-il.

En attendant, les jeunes gens dépérissaient. Teint pâle, leurs yeu cernés et comme alanguis de douleur, leur disaient assez ce qu’ils souffraient.

L’oncle de Juliaen, le docteur Van derden Putt, inquiet de sa santé, lui arracha des confidences, et un beau matin partit pour Haarlem, bien décidé à fléchir l’inexorable vieillard.

Le docteur Van derden Putt était un homme jovial et replet, dont la face épanouie offrait cette particularité que le nez, taillé en flûte d’alembic, et foré de chaque côté de sa racine, de deux grands yeux glauques, était blanc comme un pain de craie, tandis que les joues semblaient teintes avec ce rouge éclatant des peintres émailleurs, la pourpre de Cassius.

Ce personnage se fit annoncer chez Karel et roula, pédantesquement vêtu de noir, jusqu’au divan où il s’effondra et chercha à reprendre haleine.

— Mon cher docteur, dit le maître de céans, je crois savoir le motif de votre visite; vous venez pour arracher mon consentement au mariage de votre neveu avec ma fille.

— Permettez, s’exclama Van derden Putt, je ne viens pas du tout vous arracher votre consentement, je viens vous prier de me le donner de bon gré.

— Impossible, j’ai dit non, c’est non.

— Mais ils aiment!

— C’est possible, mais...

— Comment mais! Ces enfants s’adorent, ils se meurent d’amour et vous refusez de les unir, et pourquoi? Parce que mon neveu s’est égayé un soir, parce qu’il a bu deux verres de genièvre de trop; mais ce n’est pas une raison, je suis président de la Société de Tempérance, et je vous affirme que je ne considère pas Juliaen comme un ivrogne. Eh! que diable! vous-même, mon cher Brand, êtes-vous vien sûr de n’avoir pas bu plus que de coutume, une fois au moins dans votre vie, lorsque vous étiez jeune?

Maître Brand bondit.

— Jamais, docteur, jamais, s’écria-t0il; je n’ai jamais bu plus qu’il ne convenait, entendez-vous?

— Là, là, là! que diantre! je suis un honnête homme, n’est-ce pas? Eh bien! mais je ne jurerais pas qu’autrefois, alors que j’étais étudiant, je ne me suis pas quelquefois chauffé l’armet jusqu’au rouge incarnat. Au reste, je vous crois, et je regrette de vous croire, car si pareille chose vous était arrivée, vous ne briseriez pas pour une semblable vétille la vie de deux enfants qui s’aiment et ne peuvent vivre l’un sans l’autre.

— Enfin, mon cher docteur, repret le vieillard, je suis désespéré de vous affliger, mais, ainsi que j’ai ey l’honneur de vous le vdire, je refuse à votre neveu la main de ma fille.

Van derden Putt sortit atterré.

— Ah! s’écria-t-il tout à coup sur la route, une idée, je les sauve, et il fut pris d’un tel accès de joie qu’il fendit en un immense éclat sa bouche exhilarée, et se tapa sur les jambes, sans pouvoir avancer, tant sa vaste bedaine s’agitait et sautait devant lui.

Quinze jours après, Karel Brand reçut un télégrtamme ainsi conçu:

"Nouvelles graves relatives à la Société. — Grande réunion chez moi et dîner. — On vous attend, et l’on compte sur votre dévouement." Signé: le Président de la Société, Dr Van derden Putt.

Brand n’eut garde de manquer à une si pressante convocation et, le jour dit, à quatre heures, il arrivait chez le médecin.

Le docteur était riche et n’exerçait la médecine que pour rendre service aux pauvres. Il occupait ses loisirs à collectionner des objets d’art et préparait une histoire des grands peintres de Haarlem: Franz Hals, Jan de Bray, Joannes Verspronck.

Aussi, son cabinet de travail n’était-il pas un cabinet de médecin, mais bien celui d’un artiste.

C’était une grande pièce carrée, perceee de deux fenêtres à guillotine; le panneau qui leur fait face repouse de toute la vigeur de sa tenture de bistre deux tableaux aux larges cadres, une nature morte de Kalf: des figues vermeilles, des raisins bleus, un citron coupé par le milieu dont le zeste se déroule et contourne son grain d’or, des pommes fardées de rose, et, au fond, un pichet de grès brun, pailleté d’une bluette de lumière, bombe son ventre renflé dans une ombre de bitume et de terre de Sienne.

L’autre tableau, séparé du premier par une petite glace taillée à biseaux, au cadre de cuivre guilloché et comme gaugré de dauphins et de fleurs qui s’enlacent, représente un intérieur de chaumière flamande: Paysanne aux cheveux pâles, manne d’osier regorgeant de légumes, navets aux marbrures violettes, carottes écarlates, choux à robe verte frisée et côtelée de jaune tendre. Au dernier plan, dans une de ces brumes comme les peignaient Bol et Van Ostade, un homme se chauffe les peids devant un petit feu de sarments et de tourbe.

Au-dessus des tableaux, un grand médaillon de terre cuite, vénus enlaçant Adonis, et deux plats, l’un du Japon, où volètent dans l’émail des papillons poudrés de rose et d’or, l’autre de l’Inde dont les fleurs sanglantes s’épanouissent en relief, dans la pâte bleuâtre, égayent de leurs teintes vives la couleur sombre et comme attristée de la tenture.

A gauche et à droite, se dressent des corps de bibliothèques en bois noir, étageant sur leurs rayons des bandes de volumes qui châtoient dans leur pimpante robe de maroquin; de grands fauteuils s’évasent près de la cheminée, revêtue de vieilles tapisseries, surmontée d’une glace à cadre sculpté, encombrée de petits meubles indiens; de vieux flambeaux de cuivre, s’arrondissant en coupes au milieu, s’élargissant au bas en entonnoirs renversés. De ci, de là, de vieilles armes, des gravures de Luyken et de Berghem, des eaux-fortes de Rembrandt, une copie du moine en extase de Zurbaran, des nymphes de Rubens, des faïences de Delft, des Rennes opaques et denticulés, des Rouens au Rouge incendié, des plats ovales en Saincenis, des Moustiers à grotesques vertes et oranges.

Enfin, au milieu de la pièce, s’étale, sur ses vieilles jambes torses, une grande table de chêne, chargée de verres de toutes formes, flûtes à Champagne, roemers d’émeraude pour le vin du rhin, verres en tulipe pour les liqueurs, bouteilles trapues, râblées, brun-jaune, vert glauque, nues nattées d’osier, écussonnées de cachets rouges, cruchons de grès avec petite anse près du col.

La Société de Tempérance digeerait son dîner. Enfouie dans de moelleux fauteuils, elle fumait d’excellents cigares et dégustait son café qu’elle dorait avec de larges gouttes d’eau-de-vie de France. Maître Karel avait à peine trempé ses lèvres dans un verre de Bordeaux, et il se sentait néanmoins la tête alourdie et comme brisée. Ses jambes lui avaient paru plus pesantes que des saumons de cuivre, alors qu’il s’était levé de table après le dîner et qu’il était passé de la salle à manger du docteur dans son cabinet de travail.

Sa vue était trouble; il lui semble avoir dans la tête une toupie qui ronflait et se cognait à tous les angles de son cerveau, et cette rotation, ces gires, ces heurts lui causaient d’intolérables élancements; puis, les assiettes pendues aux murs se mirent à danser, les femmes de la gravure de Rubens devant laquelle il était assis remuèrent et prirent vie. Il les voyait étaler, de leur cadre, comme au travers des carreaux d’une fenêtre, ces opulences et ces fougues de charnures, ces vagues et ces remous de nacre et de vermillon comme savait les peindre le maître inimitable! le plafond lui parut s’abaisser tout à coup, les chaises sautillèrent, un nuage lui passa devant les yeux et il perdit connaissance.

Le lendemain matin, vers six heures, un gai rayon de soleil s’en vint lutiner sur les yeux du dormeur, et pénétra de son fluide d’or sa peau terreuse et boursouflée. Maître Karel se réveilla, étendit le bras pour sonner sa domestique et se heurta si violemment les doigts contre un dossier dde chaise qu’il se réveilla tout à fait. Il regarda avec stupeur autour de lui. Il n’était pas couché dans son lit, mais étendu, par terre, sur un tapis, dans le cabinet du docteur. La table était jonchée de bouteilles vides, de verres cassés, le ventre d’un côté, la jambe de l’autre, des bouchons de champagne étaient semés sur le parquet, des taches poisseuses s’étendaient sur le tapis, des serviettes tachetées de rose étaient jetées à l’aventure sur les meubles ou roulées en corde sous la table.

— C’est un rêve, s’écria maître Brand, en se frottant les yeux de toutes ses forces, c’est un affreux cauchemar, mais non, je suis éveillé!

Il voulut se mettre sur son séant, une torpeur lourde l’écrasait, sa têtte lui sembla vaciller. Il fit un effort surhumain, se cramponna au dossier d’un fauteuil, parvint à se mettre sur ses jambes et se regarda dans la glace. Ses joues étaient bleuies, ses yeux étaient meutris de larges cernes de bistre, ses lèvres étaient sèches et gonflées.

— Voyons, se dit-il, en essayany de rappeller ses souvenirs, j’étais assis là; il poussa un cri d’angoisse; à sa place, s’élevait un verre skidam à moitie plein. — J’ai bu du skidam, moi! exclama-t-il; oh! je suis un homme déshonoré. Il tomba dans un fauteuil et resta inerte, stupide, sentant sa raison lui échapper.

La porte s’entr’ouvrit et donna passage au docteur et à son neveu.

— Oh! s’écria celui-ci, maître Brand est ivre-mort, est-ce Dieu possible!

La victime essat d’ouvrir la bouche, ce fut en vain; éperdu, rouge de honte, il jeta sur les témoins de son orgie un regard suppliant.

— Qui l’eût cru, dit à mi-voix le docteur Van derden Putt, un homme aussi dévoué aux intérêts de notre Société a avalé chez moi deux bouteilles de Bordeaux et cinq verres de genièvre!

— Cinq verres de genièvre! s’écria Karel, j’ai bu cinq verres de genièvre! Oh non, ce n’est pas possible!

Quand je dis cinq, dit avec le plus beau flegme le docteur Van derden Putt, je me trompe, c’est quatre verres et demi; vous avez roulé par terre avant d’avoir bu le dernier.

— Mais je vous jure, reprit l’infortuné qui se pressait le front entre les mains, je vous jure que je n’ai bu qu’un verre de Bordeaux.

— Voyez, reprit Van derden Putt, l’effet produit par l’ivresse: absence de mémoire complète, teint couperosé, brisement des jambes et des bras.

— Mais c’est affreux, je suis innocent!

— Il déraisonne, poursuivit le médecin en levant les épaules; je suis désolé, ajouta-t-il, se tournent vers Juliaen, de te rendre maître Brand dans un aussi deeplorable état; par pudeur pour lui, j’eusse désiré le garder quelque temps ici jusqu’à ce qu’il fût complètement remis, mais les motifs que tu fais valoir sont trop justes pour que j’insiste. Sa fille se meurt d’inquiétude et t’a supplié de le ramener chez elle; allons, va faire atteler la voiture.

— J’ai découché! que va-t-on dire dans la ville! disait le pauvre homme qui se tordait les mains.

Juliaen était descendu pour veiller aux préparatifs du départ.

— Comment faire, mon excellent ami, dit Karel en étreignant Van deerden Putt, je vous en prie, je vous en supplie, tirez-moi de ce mauvais pas.

— Ah! dame, c’est malaisé, j’ai sauvé les apparences, hier au soir, en affirmant que vous étiez sujet aux syncopes et aux engourdissements, mais mon neveu qui a des motifs tout particuliers pour vous naïr, motifs que vous connaissez comme moi, paraît décidé à ébruiter l’affaire et, vous savez, nous serons sans doute obligés de vous demander votre démission de Vice-Président de la Société.

Karel blêmit.

— Enfin, je vous jure, quant à moi, de garder le silence sur cette déplorable équipée; tâchez d’obtenir la même promesse de Juliaen, vous serez sauvé.

— Hélas! Juliaen me déteste et moi qui lui ai autrefois refusé la main de ma fille parce qu’il s’était enivré, quelle honte!

— Bast! Prenez-le pour gendre. C’est un brave et digne garçon; sa fortune égale la vôtre; votre fille l’aime, que risquez-vous?

— Qu’il n’en veuille plus maintenant!

— Laissez-moi faire et nous irons bientôt à la noce.

Juliaen ne se fit pas trop prier, et un mois après les deux amoureux étaient mariés. Quelques années après, maître Brand s’étant hasardé à entretenir son gendre de ce triste et pourtant joyeux dîner où il s’était enivré, il dit:

— Eh bien! mon cher enfant, je ne suis pas fâché que vous aussi vous vous soyez enivré une bonne fois dans votre vie, vous ne pourrez jamais m’adresser de reproches et je n’ai pas à rougir devant vous.

— Permettez, cher père, dit le jeune homme, j’étais bien moins ivre que vous..., ou bien, ajouta-t-il, en appuyant sur le mot en souriant d’un air si gaîment railleur, que le viellard comprit tout, je l’étais beaucoup plus.

— O traîtresse! dit Karel Brand à sa fille qui l’embrassait, toi aussi tu étais du complot. Enfin, vous êtes heureux, c;est l’important; et, ma foi, tout bien considéré, Shakespeare a raison: Tout est bien qui finit bien.

J.-K. HUYSMANS.



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