L’Artiste 12 août, 1877.

BALLADE EN PROSE DE LA CHANDELLE DES SIX

Alors que tu étais invaincue et que tu trônais, majesteuse, sur ton phare de cuivre, tu nimbais de ta buée jaune la tête blanche du père, tu poudrais de cendre d’or les cheveux de ses filles qui écoutaient, yeux mi-clos et bouche grande ouverte, le récit des contes de la Mère l’Oie, ô chandelle des six, grésillante chandelle !

Souvent aussi l’azur de leurs prunelles s’est voilé de la brume des larmes au récit des douleurs qu’enfantait le terrible archerot Amour, souvent, toi aussi, tu as pleuré tes longues larmes de suif pâle sur l’infortune des bachelettes qui aimaient, ô chandelle des six, grésillante chandelle !

Alors que tu crépites sur le martinet qui t’enserre, alors que tu champignonnes avec ta mèche dont le nez est noir à son extrémité et rouge à sa racine, je revois mon enfance, les longues soirées d’hiver, où, fatiguée de mes pleurs et de mes cris, ma mère me renvoyait, dans la cuisine, auprès de la bonne qui épelait, à haute voix, le gros livre des songes, ô chandelle des six, grésillante chandelle !

Oh ! si tu es déchue et si ton règne est fini, tu as été adulée comme jamais reine ne le fut, ô chandelle fumeuse ! Rembrandt, Gérard Dow, Schalken, t’ont célébrée dans d’immortelles pages ; il t’ont fait éclairer la neige rose des chairs, l’hermine carminée de ces belles des Flandres qui t’abritaient de la main contre le souffle des brises, ô chandelle des six, grésillante chandelle!


ENVOI

Princesse, que d’autres chantent les lueurs phosphoriques des lunes, les flammes rouges des lampes, les feux jaunes des gaz, c’est toi seule que j’aime, toi seule que je veux exalter, éclairage idéal des tableaux des grands maîtres, ô chandelle des six, grésillante chandelle !

J.-K. HUYSMANS.



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