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La Gazette des Amateurs 4 mars 1876.


LES NOUVELLES PEINTURES DE SAINT SULPICE PAR M. SIGNOL


Les chapelles qui entourent le choeur de St-Sulpice furent au temps jadis décorées de peintures murales par Delacroix, A. de Pujol, Drolling, Hesse, Glaize et autres dont j'oublie volontairement les noms.

Parmi ces oeuvres, il en est de bonnes, de suerbes même, comme celles de Delacroix, il en est quelques-unes aussi d'une médiocrité enfantine. Plus récemment, MM. Jobbé-Duval, Lenepveu, Matout et de Landelle furent choisis pour représenter les principaux épisodes de la vie de Saint-Denis, Ste-Anne, St-Louis et St-Joseph, sous le vocable desquels des chapelles furent désignées ; ces peintures sont remarquables à divers titres, mais je signalerai, entre toutes, celles de M. Jobbé-Duval qui sont enlevées avec une vigueur qu'on ne retrouve plus guère aujourd'hui dans les tableaux de sujets religieux.

Deux toiles de M. E. Bin ont été également placées aux deux côtés de la chapelle de la Vierge ; et pour compléter sa décoration intérieure, l'Église se résolut à faire couvrir de fresques les deux ailes du transept. Celles de gauche viennent d'être découvertes. Elles ont pout auteur member de l'Institut, M. Signol.

Voici la légende de la première : « ...je suis trahi et livré...alors Jésus dit à Pierre : remettez votre épée en son lieu, tout ceux qui prendront l'épée périront par l'épée. »

Au centre, un Christ roux, embrassé par un Judas également roux, étend la main vers le discike qui se rue sur l'un des serviteurs du grand-prêtre Malek et s'apprête à lui enfoncer dans la poitrine un glaive déjà rouge de sang. La foule des soldats, avec des picques et des lances à feu, la tourbe des phasisiens et des sergents du temple entourent le Nazaréen et le saisissent au cou ; un jeune homme, agenouillé, tend des mains suppliantes vers le chef des bourreaux ; ses manches, ses bras, ses mains sont en bois, c'est roide, c'est sec, c'est dur, c'est tout, excepté de l'étoffe, tout excepté des os et de la chair. La figure du Christ est sans grâce, celle de l'Iscariote appropriée à son rôle. Au premier plan, un disciple baissé ramasse un manteau, d'une main, et brandit, de l'autre, une épée. La figure est heureuse, l'attitude juste ;mais ce qui est minable et réellement affligeant, c'est le fond du tableau, le jardin de Gethsémani. Ah ça, comment ! ces rochers en zinc, en tôle non perforée, truités ça et là de taches grises, ce tronc d'arbre aux branches en fer, comme ceux plantés dans certaines cages à bêtes, c'est là le jardin des Oliviers ! Il y avait trois manières de comprendre ce paysage. De faire comme beaucoup de peintres par un soleil couchant, avec un cadre funèbre approprié au sujet, un ciel tempétueux, flagellé de nuages en tumulte, balafré de blessures saignantes, ou le faire, en plein jour, en nous représentant une contrée morne et aride, des rocs calcinés et poudreux, des arbustes grillés par le soleil, un jardin désolé et stérile, ou bien encore se contenter de la peindre tel qu'il était, tel du moins que nous l'one décrit les historiens. Josèphe y trouvait la végétation si extraordinairement belle qu'il y voyait comme une sorte de miracle. La nature, suivant lui, avait réuni dans cette contrée les arbres des pays froid et les luxuriantes floraisons des tropiques. C'était au demeurant une sorte d'Éden que le jardin qui s'étendait au pied du mont des Olives.

Je tiens compte à M. Signol des conventions et des difficultés particulières que présente la peinture murale, mais, en bonne conscience, ses rochers traînent depuis vingt ans dans toutes les vitrines de fabricants d'aquariums et des marchands de poissons rouges ; pourquoi aussi, dans la partie supérieure du tableau, Jérémie, de lamentable mémoire, se voilant la face avec l'inscription : « Le Christ a été pris à cause de nos péchés », ses nuages sont-ils découpés dans des bandes de carton-pâte ?

La seconde de ses oeuvres est un crucifîment. La croix sur laquelle Jésus est cloué se présente de face, celles du bon et mauvais larron, du côté. Le Christ semble sculpté dans le bois du gibet ; les mains sont horribles ; le supplicié semble avoir été conçu avec un certain caractère barbare, probablement voulu, mais alors la naïveté manque ! la Magdaléenne est à ses pieds, selon la formule ; la Vierge ne manque pas d'une certaine grĂ¢ce, elle est aussi bien drapée, et, à ce propos, je dois rendre justice au peintre que toute la partie de son oeuvre qui comprend les accessoires et les costumes est habilement agencée. Gestas, le mauvais larron, est ramassé sur lui-mîme et prêt à s'élancer de la croix. Il a été piqué dans cette posture sur le bois de l'arbre ; l'autre est déjà roidi par la mort et il regarde de son oeil vitreux le Galiléen qui, baissant la tête sur sa poitrine, rend le dernier soupir. De tous côtés, se pressent des vélites, des juges, les saintes femmes : Marie Cléophas, Jeanne, femme de Khouza, Salomé, à droite, une belle figure drapée de vert, et au remier plan trois tortionnaires jouant aux dés. L'un d'eux, appuyé sur un coude, est très réussi ; c'est un mâle visage de guerrier, on dirait d'un fauve au repos. C'est de tous les personnages que l'artiste a introduits dans ses tableaux, celui qu'il a le mieux rendu ;malheureusement, dans cette oeuvre comme dans l'autre, des nuages en stuc supportent le groupe du haut : Isaïe brandissant une croix, et trois figures d'hommes avec la lgende : « Son empire s'étendra de plaus en plus et la paix qu'il établira n'aura point de fin. »

Me demandez-vous ce que prouve cette critique des oeuvres de M. Signol ? Elle prouve tout d'abord que le vieil adage latin : errare humanum est absolument vrai, elle tendrait également à prouver une fois de plus que les étapes de la Passion sont inaccessibles aux peintes actuels, si habiles qu'ils soient. Il faut l'avouer, l'art religieux est en plein débâcle, et il est grand temps que MM. Bonnat et J.-P. Laurens le relèvent...s'ils le peuvent. Se cela continue, on en viendra à faire des crucifixions de même que font des Chemins de croix des artisands en boutique, qui vous brossent les Stations du Calvaire, comme ils peignent des stores pour charcuteries, avec forêts surmontées de donjons, sangliers poursuivis par des meutes de chiens et des cavaliers soufflant du cor. À Anvers, dans la cathédrale o&ubrave; reposent sous des rideaux de serge verte les triptyques de Rubens, on jugea nécessaire d'avoir un Chemin de Croix. Leys et ses élèves, MM. Vinck et Hendricks acceptèrent cette tâche. Se mesurer avec Rubens, en faisant oeuvre originale, ils ne l'osèrent avec raison ; ils remontèrent jusqu'à' Memlinc et, s'inspirant de son génie, exécutèrent une merveille d'archaîsme et d'art. C'est à ma connaissance le seul Chemin de Croix qui mérite d'être cité.

Ne pouvant innover, ne vaudrait-il pas mieux suivre cet exemple pour les crucifiements et es grands pages de la Passion ? ne vaudrait-il pas mieux, jusqu'à la venue d'un grand maître, qu l'on envoyât des artistes à Anvers y reproduire pieusement l'Élévation et la Descente de la croix ?

Je vous jure qu'une habile copies de ces chefs-d'oeuvre serait mieux placée dans le transept de St-Sulpice que les freques qui y furent commandées et peintes.